Calcul de flux de puissance (Load Flow) dans un réseau à 3 nœuds
Contexte : La "Carte Météo" du Réseau Électrique
Le calcul de flux de puissance (ou "Load Flow" en anglais) est l'un des outils les plus fondamentaux pour un ingénieur en réseaux électriques. Il permet de déterminer l'état complet du réseau (tensions à chaque nœud, flux de puissance sur chaque ligne) pour un scénario de consommation et de production donné. C'est l'équivalent d'une "photographie" détaillée du réseau qui permet de vérifier que les tensions restent dans les plages acceptables et que les lignes ne sont pas surchargées. Ce calcul est réalisé en permanence par les dispatchings pour surveiller le réseau en temps réel, et par les bureaux d'études pour planifier les renforcements futurs.
Remarque Pédagogique : Le système d'équations du load flow est non-linéaire, ce qui signifie qu'on ne peut pas le résoudre directement. On utilise des méthodes numériques itératives (comme Gauss-Seidel ou Newton-Raphson) qui convergent pas à pas vers la solution. Cet exercice vous propose de réaliser la première étape de ce processus pour en comprendre la logique.
Objectifs Pédagogiques
- Comprendre les différents types de nœuds (Slack, PV, PQ) dans un réseau.
- Construire la matrice d'admittanceNotée Ybus, c'est une matrice qui représente la topologie et les caractéristiques de toutes les lignes d'un réseau. C'est l'outil mathématique central pour les calculs de réseau. (Ybus) d'un réseau simple.
- Appliquer une itération de la méthode de Gauss-SeidelMéthode numérique itérative utilisée pour résoudre des systèmes d'équations linéaires ou non-linéaires. Elle consiste à calculer séquentiellement chaque inconnue en utilisant les valeurs les plus à jour des autres..
- Calculer les flux de puissance active et réactive sur une ligne.
- Comprendre le rôle du nœud bilanAussi appelé "Slack bus" ou "nœud d'équilibre". C'est un nœud de référence (généralement une grosse centrale) dont la tension est fixée et qui compense toutes les pertes du réseau pour assurer l'équilibre P/Q. (Slack bus).
Données de l'étude
Schéma du Réseau à 3 Nœuds
- Nœud 1 (Slack) : Tension de référence \(V_1 = 1.0 \angle 0^\circ \, \text{p.u.}\)
- Nœud 2 (PV) : Puissance active injectée \(P_2 = 400 \, \text{MW}\), Tension maintenue à \(|V_2| = 1.0 \, \text{p.u.}\)
- Nœud 3 (PQ) : Puissance active consommée \(P_3 = 450 \, \text{MW}\), Puissance réactive consommée \(Q_3 = 150 \, \text{MVAR}\)
- Base de puissance : \(S_{\text{base}} = 100 \, \text{MVA}\)
- Impédances des lignes (en p.u.) : \(Z_{12} = 0.02 + j0.04\), \(Z_{13} = 0.01 + j0.03\), \(Z_{23} = 0.0125 + j0.025\)
Questions à traiter
- Construisez la matrice admittance du réseau, \(Y_{\text{bus}}\).
- En utilisant la méthode de Gauss-Seidel et en partant d'une estimation initiale de \(V_3^{(0)} = 1.0 \angle 0^\circ\), calculez la tension au nœud 3 après la première itération, \(V_3^{(1)}\).
- Calculez le flux de puissance complexe \(S_{13}\) (puissance active P et réactive Q) qui transite sur la ligne entre le nœud 1 et le nœud 3, en utilisant les tensions de la première itération.
Correction : Calcul de flux de puissance (Load Flow)
Question 1 : Construction de la Matrice Admittance (\(Y_{\text{bus}}\))
Principe
La matrice admittance \(Y_{\text{bus}}\) est une représentation mathématique du réseau. Chaque élément de la matrice décrit comment les nœuds sont connectés. L'admittance (Y) est l'inverse de l'impédance (Z), elle représente la facilité avec laquelle le courant peut circuler.
Mini-Cours
La matrice \(Y_{\text{bus}}\) se construit selon deux règles simples :
1. Les éléments diagonaux \(Y_{ii}\) sont la somme de toutes les admittances connectées au nœud i.
2. Les éléments hors-diagonale \(Y_{ij}\) sont l'opposé de l'admittance de la ligne reliant directement le nœud i et le nœud j. Si aucune ligne ne les relie, l'élément est nul.
L'admittance d'une ligne est \(y_{ij} = 1/Z_{ij}\).
Remarque Pédagogique
Point Clé : La construction de cette matrice est la toute première étape de n'importe quelle étude de réseau informatisée. C'est une tâche systématique et répétitive, parfaite pour un ordinateur. Comprendre sa structure permet de saisir comment le logiciel "voit" le réseau que vous avez dessiné.
Normes
Il n'y a pas de norme réglementaire pour la construction de la matrice elle-même, mais les modèles de données utilisés pour la décrire (lignes, transformateurs, charges) sont souvent standardisés (par exemple, le format CIM - Common Information Model) pour permettre l'interopérabilité entre les logiciels des différents gestionnaires de réseau.
Hypothèses
On néglige les admittances "shunt" des lignes (leur effet capacitif), ce qui est une simplification courante pour les lignes HTA courtes. On ne considère que l'admittance "série" due à l'impédance de la ligne.
Formule(s) utilisée(s)
Donnée(s)
- \(Z_{12} = 0.02 + j0.04 \Rightarrow y_{12} = 10 - j20\)
- \(Z_{13} = 0.01 + j0.03 \Rightarrow y_{13} = 10 - j30\)
- \(Z_{23} = 0.0125 + j0.025 \Rightarrow y_{23} = 16 - j32\)
Calcul(s)
Réflexions
La matrice obtenue est symétrique (\(Y_{ij} = Y_{ji}\)), ce qui est toujours le cas pour un réseau passif. Les termes diagonaux ont une partie réelle positive et une partie imaginaire négative (caractère inductif des lignes), tandis que les termes hors-diagonale ont une partie réelle négative et une partie imaginaire positive.
Justifications
La conversion des impédances en admittances est nécessaire car les équations de flux de puissance sont naturellement exprimées en termes de courants injectés, qui sont liés aux tensions via la matrice d'admittance (\(I = Y \cdot V\)).
Points de vigilance
Attention aux signes : L'erreur la plus fréquente est de se tromper dans les signes des éléments de la matrice. Les termes diagonaux sont la somme des admittances, les termes hors-diagonale sont l'opposé des admittances. Une seule erreur de signe rendra tous les calculs suivants incorrects.
Le saviez-vous ?
Visualisation du Résultat
\[ Y_{\text{bus}} = \begin{pmatrix} 20-j50 & -10+j20 & -10+j30 \\ -10+j20 & 26-j52 & -16+j32 \\ -10+j30 & -16+j32 & 26-j62 \end{pmatrix} \]
A vous de jouer
Si on ajoutait une quatrième ligne entre le nœud 2 et le nœud 3 avec la même impédance \(Z_{23}\), comment l'élément \(Y_{22}\) de la matrice changerait-il ?
Question 2 : Itération de Gauss-Seidel
Principe
La méthode de Gauss-Seidel est un processus itératif. Pour calculer la nouvelle tension \(V_i^{(k+1)}\) au nœud i, on utilise une formule qui dépend des puissances injectées (\(P_i, Q_i\)), des éléments de la matrice \(Y_{\text{bus}}\), et des tensions les plus récentes disponibles aux autres nœuds.
Mini-Cours
L'équation de base du load flow est \( I_i = \sum_{j=1}^{n} Y_{ij} V_j \). On sait aussi que la puissance complexe injectée est \(S_i = P_i + jQ_i = V_i I_i^*\). En combinant ces deux équations, on peut isoler la tension \(V_i\) pour obtenir la formule itérative de Gauss-Seidel. On répète le calcul pour tous les nœuds jusqu'à ce que les tensions ne changent plus significativement entre deux itérations (convergence).
Remarque Pédagogique
Point Clé : La première itération est souvent loin du résultat final, mais elle permet de s'en approcher. C'est en répétant le processus que l'on affine la solution. Pour cet exercice, une seule itération est demandée pour comprendre la mécanique du calcul.
Normes
Les logiciels de calcul de réseau doivent être validés selon des standards (ex: tests sur des réseaux de référence comme les "IEEE test cases") pour s'assurer que leurs algorithmes (Gauss-Seidel, Newton-Raphson) convergent correctement et donnent des résultats précis et fiables.
Hypothèses
On part d'une estimation initiale où toutes les tensions inconnues sont à "plat" : \(V_3^{(0)} = 1.0 \angle 0^\circ\). C'est un point de départ standard. On utilise les valeurs connues pour les nœuds 1 et 2 (\(V_1\) et \(|V_2|\)).
Formule(s) utilisée(s)
Donnée(s)
- Puissances au nœud 3 (consommées, donc négatives) : \(P_3 = -450 \, \text{MW}\), \(Q_3 = -150 \, \text{MVAR}\).
- En p.u. (base 100 MVA) : \(P_3 = -4.5 \, \text{p.u.}\), \(Q_3 = -1.5 \, \text{p.u.}\)
- Tensions initiales : \(V_1 = 1.0\), \(V_2 = 1.0\), \(V_3^{(0)} = 1.0\)
- Éléments de \(Y_{\text{bus}}\) de la Q1.
Calcul(s)
Réflexions
Le résultat montre qu'après une seule itération, la tension au nœud 3 a déjà chuté à environ 0.91 p.u. C'est logique, car ce nœud supporte une forte charge. Les itérations suivantes affineraient cette valeur, mais on voit déjà une tendance à la baisse de la tension.
Justifications
L'utilisation de la tension conjuguée \((V_i^{(k)})^*\) au dénominateur est une astuce mathématique pour manipuler les puissances complexes. Le calcul itératif est nécessaire car la tension \(V_3\) que l'on cherche apparaît des deux côtés de l'équation (implicitement dans le terme de puissance et explicitement dans la somme).
Points de vigilance
Nombres complexes : Ce calcul est une suite d'opérations sur les nombres complexes (divisions, additions, multiplications). Une calculatrice scientifique ou un logiciel capable de gérer les complexes est indispensable. La moindre erreur dans la gestion des parties réelles et imaginaires fausse le résultat.
Le saviez-vous ?
Visualisation du Résultat
A vous de jouer
Si la charge au nœud 3 était deux fois plus faible, la tension \(V_3^{(1)}\) serait-elle plus élevée ou plus faible que celle calculée ?
Question 3 : Calcul du Flux de Puissance sur la Ligne 1-3
Principe
Une fois les tensions aux nœuds connues (ou estimées), on peut calculer la puissance qui transite sur n'importe quelle ligne. Le flux de puissance complexe \(S_{ij}\) allant du nœud i vers le nœud j dépend des tensions \(V_i\) et \(V_j\) et de l'admittance de la ligne \(y_{ij}\).
Mini-Cours
Le courant \(I_{ij}\) circulant de i vers j est donné par la loi d'Ohm : \(I_{ij} = (V_i - V_j) \times y_{ij}\). La puissance complexe partant de i est \(S_{ij} = V_i I_{ij}^*\). En combinant les deux, on obtient la formule du flux de puissance. La partie réelle de \(S_{ij}\) est la puissance active (P, en MW) et la partie imaginaire est la puissance réactive (Q, en MVAR).
Remarque Pédagogique
Point Clé : Le calcul du flux de puissance est l'objectif final du load flow. Il permet de vérifier si une ligne est en surcharge (si la puissance apparente \(|S_{ij}|\) dépasse sa capacité nominale) et de quantifier les pertes sur cette ligne (la différence entre le flux partant \(S_{ij}\) et le flux arrivant \(S_{ji}\)).
Normes
Les gestionnaires de réseau définissent des limites de transit pour chaque ligne, basées sur des critères thermiques (échauffement du conducteur) et de stabilité. Les calculs de flux de puissance sont utilisés pour s'assurer que ces limites sont respectées en toutes circonstances, y compris en cas de défaut sur une autre ligne (calculs "N-1").
Hypothèses
On utilise les valeurs de tension calculées à l'itération précédente. \(V_1\) est connue et \(V_3^{(1)}\) est notre meilleure estimation à ce stade.
Formule(s) utilisée(s)
Donnée(s)
- \(V_1 = 1.0 + j0\)
- \(V_3^{(1)} \approx 0.911 - j0.052\)
- \(y_{13} = 10 - j30\)
Calcul(s)
En MVA (en multipliant par \(S_{\text{base}} = 100\)) : \(S_{13} = 245 + j215 \, \text{MVA}\).
Cela signifie \(P_{13} = 245 \, \text{MW}\) et \(Q_{13} = 215 \, \text{MVAR}\).
Réflexions
Le résultat montre un flux important de puissance active et réactive partant du nœud bilan (1) pour alimenter la charge au nœud 3. C'est cohérent, car le nœud 1 est la source principale qui équilibre le réseau. Le signe positif des deux parties (P et Q) confirme que la puissance s'écoule bien de 1 vers 3.
Justifications
Ce calcul est l'application directe des lois de l'électricité en régime sinusoïdal. Il permet de passer des tensions (l'état du réseau) aux flux de puissance (ce qui circule dans le réseau), qui sont les grandeurs physiques que l'on cherche à maîtriser.
Points de vigilance
Attention aux conjugués ! La formule du flux de puissance utilise les conjugués des tensions (\(V^*\)) et de l'admittance (\(y^*\)). Oublier un seul conjugué change complètement le signe de la puissance réactive et fausse le résultat.
Le saviez-vous ?
Visualisation du Résultat
A vous de jouer
Si la tension au nœud 3 était plus faible (par exemple 0.85 p.u.), le flux de puissance \(S_{13}\) serait-il plus grand ou plus petit ?
Simulation Interactive de Flux de Puissance
Ajustez la consommation au nœud 3 et observez l'impact sur la tension et les flux de puissance dans le réseau.
Paramètres de la Charge
Visualisation du Réseau
Pour Aller Plus Loin : Calculs de Stabilité
Au-delà de la photo : Le calcul de flux de puissance est une analyse en régime "statique" ou "permanent". Il ne dit rien sur la manière dont le réseau réagirait à une perturbation soudaine (un court-circuit, la perte d'une centrale). Pour cela, les ingénieurs réalisent des "calculs de stabilité dynamique", qui simulent l'évolution des angles des rotors des machines et des tensions sur plusieurs secondes après un défaut. Ces calculs, beaucoup plus complexes, sont essentiels pour s'assurer que le réseau reviendra à un état stable après un incident et n'entrera pas en "oscillation" jusqu'au black-out.
Le Saviez-Vous ?
Le premier calcul de flux de puissance à grande échelle a été réalisé manuellement dans les années 1930 pour le projet du Hoover Dam aux États-Unis. Une équipe d'ingénieurs (principalement des femmes surnommées les "human computers") a passé des mois à résoudre les équations du réseau à la main et avec des calculatrices mécaniques. Aujourd'hui, un ordinateur portable peut faire le même calcul pour un réseau des milliers de fois plus grand en quelques secondes.
Foire Aux Questions (FAQ)
Que se passe-t-il si la méthode de calcul ne converge pas ?
Si l'algorithme ne converge pas vers une solution stable, cela signifie généralement que le cas étudié est physiquement irréalisable. Le plus souvent, cela indique un "effondrement de tension" : la demande est trop importante par rapport à la capacité du réseau à la transporter, et il n'existe aucun état stable où les tensions peuvent se maintenir. C'est un signe qu'un renforcement du réseau est nécessaire.
Pourquoi le nœud 2 est-il un nœud PV ?
Un nœud PV (Puissance-Voltage) représente typiquement un nœud où est connectée une centrale de production. Le rôle de son régulateur de tension est de maintenir la tension à une consigne fixe (par exemple 1.0 p.u.) en ajustant la puissance réactive (Q) qu'elle fournit au réseau. On connaît donc la puissance active P qu'elle injecte et le module de sa tension |V|, mais on cherche son angle \(\delta\) et la puissance réactive Q qu'elle doit fournir.
Quiz Final : Testez vos connaissances
1. Dans un calcul de flux de puissance, le rôle du nœud "Slack" est de :
2. Si on augmente fortement la charge au nœud 3, la tension à ce nœud va très probablement :
Glossaire
- Flux de Puissance (Load Flow)
- Calcul qui détermine la tension (module et angle) à chaque nœud et les flux de puissances active et réactive sur chaque ligne d'un réseau pour un état de charge et de production donné.
- Matrice Admittance (Ybus)
- Matrice carrée représentant la topologie et les admittances des lignes du réseau. Elle lie les courants injectés aux nœuds aux tensions des nœuds par la relation \(I = Y_{\text{bus}}V\).
- Per Unit (p.u.)
- Système de normalisation où les grandeurs (V, I, P, Z...) sont exprimées en fraction d'une valeur de base, simplifiant les calculs sur des réseaux à plusieurs niveaux de tension.
- Nœud Slack / Bilan
- Nœud de référence du réseau dont la tension est fixée (ex: 1.0∠0°). Il sert de source "infinie" qui compense les pertes actives et réactives, inconnues avant le calcul.
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